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Avant d’avaler des kilomètres de piste, Sabrina faisait

de la danse. L’athlétisme, elle s’y met à 6 ans dans le club de Clamart, pour faire comme son grand-frère. Son père jouait au foot, sa mère « faisait pas mal de sport »… 

La famille Palumbo « a toujours eu cette culture

de l’activité physique pour le bien être,

pour l’épanouissement. »

 

A 12 ans, dans l’équipe du collège, elle s’entraîne déjà « avec les grands » et a « l’habitude de rapporter 5 médailles sur 5 épreuves. » La petite brune court tous 

les jours, « avec une journée de repos quand même. C’était

à la mode roumaine avec Carmen Hodos, une entraîneuse

à succès qui tombera pour dopage. C’était tellement intense qu’on avait l’habitude de nourrir les vers de terre en bord de piste, de vomir quoi. »

Son comportement alimentaire se trouble à 17 ans, en 1998, « l’année

du baccalauréat. » La lycéenne performe au 300 mètres, une distance qui prépare les jeunes athlètes au 400 mètres. « Pour assurer un podium,

j’ai commencé un régime. J’étais en stage de préparation avec l’équipe et j’ai pris une salade au McDo, se souvient-elle. C’était la première fois. »

 

 

C’est la marque de l’anorexie sportive. Comme dans l’anorexie mentale,

la personne qui en souffre diminue drastiquement son poids, en jeûnant, se faisant vomir ou redoublant l’excès d’efforts physiques. Mais l’athlète ne se trouve pas difforme ou trop grosse. Le contrôle pondéral qu’elle s’inflige a un but très simple : augmenter ses performances.

« La réflexion première, c’est : ”avec deux kilos en moins, j’irai plus haut, plus loin”, explique Marie Jaccaz, psychologue de la Fédération française de ski. L’état physique est encore bon donc l’athlète ne voit pas de raison de s’arrêter. Mais c’est à ce moment-là qu’il met le doigt dans l’engrenage. » Un sentiment de maitrise totale peut alors s’installer

chez le sportif, qui est comme galvanisé. « Cela concerne surtout les filles, ajoute Marie Jaccaz. Souvent, on constate une perte de masse grasse

très importante, puis une aménorrhée qui s’installe…
C’est la
” Triade des sportives ”. » 

« J’ai perdu 2 kilos en avril. Trois mois plus tard, j’en avais perdu 10 autres, explique Sabrina. Ca a été la dégringolade. » Si avant sa diète, l’athlète ne se trouvait pas trop grosse, c’est désormais le cas. L’anorexie sportive, comme d’autres comportements alimentaires pathologiques (les vomissements provoqués, l’utilisation de laxatifs…) peut ouvrir la voie à l’anorexie mentale. Autrement, le trouble subclinique du sport peut l’embarquer tout droit vers des TCA cliniques, beaucoup plus sévères.

 

A l’insatisfaction sportive, s’ajoute donc l’insatisfaction corporelle : « Je devais faire le tour de mon bras avec mes doigts, limite le tour de mes cuisses. Je vérifiais que je ne prenais pas trop de place. » Rapidement, ce toc s’associe à un autre geste obsessionnel. Sabrina scrute l’aiguille de sa balance plusieurs fois par jour, avec l’espoir, à chaque pesée, d’atteindre un chiffre encore inférieur. Sabrina se conforte dans cet état : « En même temps, je trouvais du confort dans le fait de contrôler ce qu’on ne contrôle pas d’habitude : le corps. »

 

Les troubles relatifs à l’anorexie sportive, s’ils n’évoluent pas vers des altérations cliniques, sont censés cesser à la fin de la carrière. Dans le cas de Sabrina, ce sont les TCA qui ont mis fin à sa carrière. « Au lieu d’améliorer mes performances, ça les a complètement fait chuter. Moi qui voulais avancer plus vite… Au final, je n’avançais plus du tout, raconte-t-elle. Au Championnat de France avec l’équipe du lycée, après un bon départ et « 200 premiers mètres corrects, dans la dernière ligne droite, je suis restée figée sur place. J’ai vu les autres partir. J’ai compris que mon corps me disait ”stop”. »

Rien de surprenant pour Frédéric Grappe, directeur de la performance au sein d’une équipe cycliste professionnelle, selon qui : « Ceux qui tombent dans cet engrenage sont déjà des personnes fragilisées mentalement. Quand la vie privée n’est plus assez solide, certains peuvent partir en vrille. » Le socle social est l’un des piliers les plus importants de la performance sportive. Pour le chercheur en science du sport, « un athlète qui n’est pas bien socialement, ne pourra pas être performant. »

Le haut niveau peut favoriser le développement des TCA : le volume d’entraînement y est très important, et la pression, exercée par les proches – coaches, équipiers, famille -, considérable.

Mais la maladie est multifactorielle. Cantonner son déclenchement

à la sphère sportive serait réducteur. D’après les spécialistes, prenez 2 sportifs inscrits dans la même discipline, au même niveau et entrainés par le même staff. Statistiquement, s’il en faut un, un seul présentera un TCA. Lequel ? Le plus exposé aux troubles psychologiques.






Sabrina le reconnaît : « Tant que je faisais du sport, je me trouvais très équilibrée psychologiquement. Mais en fait, il y avait beaucoup de soucis qui couvaient. »

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Dès lors, le sport pratiqué n’est pas forcément la cause

de la maladie, mais peut en constituer l’alibi.

La tendance anorexique peut être antérieure

et sous-jacente.

Carmen Hodos, la coach de Sabrina, n’avait pas vu

la maladie s’installer, surement trop prise par le scandale qui l’a rattrapée. En 2000, la Roumaine sera mise en examen pour un scandale de dopage. Huit ans plus tard, elle est condamnée, avec son mari, pour « détention et aide à l'usage de produits dopants ».


Pourtant, l’aide doit venir de l’extérieur. Selon Marie Jaccaz, « l’athlète souffre alors de dysmorphophobie : il ne se voit pas maigri, ni aminci. » 

La déformation de la perception de soi empêche la prise de conscience par le malade. 

Pour soigner le sportif, il n’y a souvent qu’une seule option : l’entourage doit repérer les TCA. Le dialogue permet de détecter les signes avant-coureurs de la maladie et d’envoyer une première bouée de sauvetage à l’athlète. Mais, pour avoir le cœur net, rien ne peut remplacer l’évaluation par des questionnaires cliniques.


Au fur et à mesure, les fédérations sportives les plus touchées testent des réglementations pour endiguer

ce fléau. Les TCA dans le sport restent un tabou qui rend

les organisations frileuses, et leurs actions discrètes. 

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