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Avant les années 2000, aucune règle ne limitait la perte

de poids dans le saut à ski. La fédération internationale décide alors de réagir aux comportements qui gangrènent

la discipline. Devant les soupçons, trop de champions confessaient des repas à base de muesli, yaourt et café.  

« On tombait dans des cas extrêmement limites… avoue Vincent Descombes Sevoie. Je n’aime pas parler de ça, d’anorexie.

Mais disons que certaines personnes étaient vraiment limites. Quand on fait 1m85, moins de 60 kilos, on en déduit

que quelque ne va pas. »






En 2004, Ville Kante, vainqueur de deux concours de Coupe du monde, abandonne sa carrière. A 26 ans, il était devenu insomniaque et dépressif. Il ne pesait plus que 51 kg pour 1,74 m. La même année, la Fédération internationale de ski (FIS) jugule la taille des skis en fonction de l’indice de masse corporelle des athlètes. Plus le sportif perdra du poids, plus la taille de ses skis sera réduite. L’IMC se calcule en divisant le poids du sportif par le carré de sa taille. Ce rapport détermine alors si le sauteur peut utiliser la longueur maximum des skis, ou s’il devra utiliser des skis raccourcis.

Le but : compenser la perte de poids du sportif, en réduisant la surface de frottement des skis dans les airs. Pour environ 400 grammes perdus, les skis sont raccourcis d’un centimètre. Et dans les cas extrêmes, c’est la disqualification.



En 2011, la fédération internationale enfonce le clou et relève l’IMC minimum de 20,5 à 21,0. Quant à la longueur maximale des skis, elle est réduite de 146% à 145% de la taille du sauteur. 



A 32 ans, Vincent Descombes Sevoie assure qu’il a toujours su réguler son poids au minimum, sans jamais tomber dans les TCA. Cet hiver, il pesait 56,5 kilos pour son mètre 73. Monté sur des skis depuis ses 5 ans, le recordman de France connaît son corps : « Parfois, c’est un cercle vicieux. On perd un peu de poids, et de suite au tremplin on note l’efficacité. On gagne deux, trois mètres de plus sur le saut, confie Vincent. C’est un peu comme au casino : on met des pièces, ça tombe, alors on continue à jouer. A ce moment-là, il faut faire vraiment gaffe. » Dans ce numéro d’équilibriste, Vincent n’est pas livré à lui-même. Selon son entraineur, les visites médicales sont « fréquentes ».


Le code de santé publique, qui régit les règles médicales pour les sportifs et les fédérations, en impose deux par an. Le skieur en a une au printemps, l’autre à l’automne. 

Au cours des deux contrôles obligatoires, le skieur répond

à un questionnaire censé faire état de ses conditions physiques et mentales. Mais ce n’est que sur la base

du volontariat que le sportif peut également rencontrer

un diététicien ou un nutritionniste.


Selon Marie Jaccaz et Amine Benounane, respectivement psychologue de la fédération de ski et médecin pour celle de la boxe, le contrôle de l’alimentation par ces professionnels de santé peut-être délicat. « C’est le seul domaine où l’athlète a un pouvoir de décision, où il lui reste une part de liberté, explique Marie Jaccaz. Toute la journée, on lui dit où s’entrainer, quoi faire, où aller, à quel moment… »

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Mais tous les entraineurs ne sont pas aussi sensibilisés

à la question. Alexia Jeanpierre, ancienne anorexique

et ex-gymnaste de niveau national, en a fait les frais.

Désir de performance et problèmes familiaux la grignotaient quand lors d’une séance d’entrainements, elle se balance

aux barres asymétriques devant ses copines. Au milieu des agrès, l’un de ses coaches lance à voix haute : « Ah oui Alexia, c’est la seule qui utilise la barre. En même temps, c’est elle la plus grosse. » Les piques s’enchainent. Le poids plume devient poids mort. Au pire de la maladie, elle ne pèse plus que

36 kilos pour 1 mètre 55. « Ca a été l’un des éléments déclencheurs », se souvient la jeune femme.

 


 


Le sauteur doit dévaler la piste, parfois lancé sur 120 mètres de long.

Quand les skis quittent le tremplin, le sauteur frôle les 90 km/h. Dans les airs, il se penche en avant, les bras le long du corps et les skis écartés en V.

Plus on est léger, plus on a de chance d’aller loin. Surtout si le vent souffle

de face et qu’il vient s’engouffrer dans une combinaison négligemment ajustée pour planer plus longtemps.

Alors, à l’approche d’une épreuve, l’entraîneur prépare le vol

de ses athlètes, jusque dans leurs assiettes : « Ils doivent manger suffisamment, mais il faut aussi ne pas être lourd car un sauteur

à ski a besoin de rester en l’air. » 


Logiquement, les sauteurs se pèsent trois à quatre fois par jour.

Une fréquence qui peut virer à l’obsession. Sans encadrement, cette habitude peut altérer la perception du corps. Gérard Colin n’a jamais été formé à la détection des TCA, mais à l’écouter, il connaît tellement bien ses protégés qu’il peut vérifier en un coup d’œil s’ils ont un problème.

Un contrôle qu’il ne peut effectuer qu’en période de stage. 

Juché dans les hauteurs des Vosges, La Rayée. Un lieu-dit que les équipes de France de saut à ski et combiné nordique investissent quelques fois dans l’année. Logés par équipes dans deux chalets mitoyens, les sportifs de haut niveau et leurs coaches concoctent eux-mêmes – matin, midi et soir – leurs repas. Au menu du jour, un sauté de légumes – courgettes, carottes, haricots verts, pommes de terre – accompagné de lardons, riz et omelette. Pas de conserve, que des produits frais. De préférence issus de l’agriculture biologique. « On sait que les bons produits sont meilleurs pour la santé, le corps, le muscle et le mental » assure Gérard Colin, entraineur de l’équipe de France.



Pour performer aux compétitions internationales, les sauteurs s’astreignent à un rythme éprouvant. « On est quasiment en stage 4 jours sur 7, de juin jusqu’à octobre, explique Vincent Descombes Sevoie. On se lève à 7 heures le matin, et on doit tenir jusqu’à la fin des entrainements à 19 heures. » Et pendant le week-end, le staff impose à chacun un programme spécifique - musculation et footing - à réaliser à la maison.

« Les grands prix d’été attaquent un mois plus tôt cette année, souffle Vincent. Mais plutôt que de m’infliger des régimes drastiques pendant les mois d’entrainement, je préfère surveiller ma ligne toute l’année, périodes de repos comprises. » 

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En France, le Code de santé publique n’aborde pas directement le régime alimentaire que les sportifs doivent adopter. Le contrôle de l’hygiène alimentaire, et donc

la prévention des troubles qui peuvent en découler,

sont délégués aux fédérations, tenues d’édicter seules

leurs propres règles. « C’est très difficile de fixer des règles sur l’alimentation au niveau des fédérations,

explique Redouane Mahrach, avocat spécialiste du droit du sport. Ca serait attentatoire aux libertés individuelles.

Se nourrir comme on le souhaite, c’est une liberté fondamentale. » Les fédérations sont aussi confrontées

à l’éclatement géographique de leurs sportifs. Comment suivre aussi efficacement un athlète basé près du siège

que celui qui s’entraîne à l’autre bout du pays ?

La fédération française de natation a mis en place

une plateforme en ligne où les sportifs enregistrent

leurs données de santé. Le médecin peut alors les consulter régulièrement pour un suivi individualisé.



Depuis cet hiver, la fédération française de ski cherche

à sensibiliser davantage ses membres. Une plaquette

leur a été distribuée. Deux pages pour quelques propositions de repas pendant les déplacements.

« Par exemple, toujours prendre avec nous des soupes,

des bouillons, des choses faciles à faire avec juste un peu

de poudre déshydratée et un peu d’eau chaude,

détaille Gérard Collin. Le but étant d’inciter à se nourrir, même un petit quelque chose dans la chambre d’hôtel plutôt que d’éviter de manger. » Un dispositif léger,

qui sera évalué en fin de saison. Pour l’instant, lorsque

des TCA sont détectés, un protocole tripartite spécifique

à la FFS est déclenché.


Un médecin, un diététicien et un psychologue rencontrent le skieur une fois par mois. Aussi longtemps que nécessaire pour le remettre d’aplomb. En fonction de sa progression, ce sera au médecin de juger s’il continue ou arrête – sur interdiction – son sport. 

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Avant 2011, pour prendre le départ, un skieur d’1 mètre 78 devait peser

au moins 65 kilos. Il pouvait alors utiliser des skis de 260 cm, la longueur maximale autorisée pour sa taille. 

Depuis 2011, le même sauteur mesurant 1 mètre 78 doit peser au moins

66,6 kilos, et peut utiliser des skis de 258 cm, la longueur maximale autorisée 

pour sa taille.

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